mardi 20 décembre 2016

En remontant les courants...




Et oui, que veux-tu, avant que le grand Cric nous croque, il est de toute urgence que nous apprenions à réensemencer l’âme humaine. Nous y mettrons un semis d’amour, d’empathie, de tolérance, de curiosité pour la vie telle qu’elle va. Nous y ajouterons quelques pousses pour apprendre à mieux comprendre nos émotions, nos frustrations et nos élans. Et pour que tout cela pousse de concert, nous préparerons le terrain en faisant un peu de vide dans nos esprits pour y faire de la place. Nous préférerons la détermination à l’intransigeance, nous avancerons à tâtons -mais sûrement- sur un chemin de foi fragile que nous préférerons à la sentence des sermons. Nous irons au rythme léger de nos pas et en silence, ce qui est bien mieux que le bruit des bottes qui monte des quatre coins de l’horizon.

C’est joli : réensemencer ; c’est proche de recommencer. Ça se décline en marchant, ça se dit dans un murmure à une ou quelques personnes. Ça se pratique à côté. Non pas dans une adversité revendiquée au vieux monde, mais comme un tour de passe-passe ; l’air de rien. Comme le dit le conteur mieux vaut murmurer notre parole un million de fois à une personne qu'une fois à un million de personnes. C’est chaque âme, une à une, qu’il faut réinventer, loin du barouf assourdissant des médias de masse. Tant d’âmes malades, coupées d’elles-mêmes et de la force vive de la Vie. Tant de fantômes avançant à tâtons.

L’espèce humaine s’est faite fragile, sa disparition est factuellement toute à fait possible, à court ou moyen terme. Possible mais pas certaine. L’homme a des millions d’années d’évolution derrière lui, il est capable de prouesses technologiques inouïes, d’œuvres d'art grandioses, mais son esprit n’a pas bougé. Il est resté crispé sur lui-même, il s’est coupé de l’essentiel, il est comme un animal qui ne sait plus la plupart du temps qu’attaquer ou se défendre. Il vit au rythme de la peur quand il reçoit des nouvelles du monde. Il se fabrique des ennemis quand il serait pourtant si facile de faire simplement amitié… (oui, j'assume la naïveté du propos!). Il se choisit pour représentants des mâles dominants de caricature (et si ce ne sont pas des mâles dominants, ce sont des femmes qui en ont pris les caractères). Il ne s’aime plus et n’aime plus personne, ni plus rien -si ce n'est pour le pire et plus rarement le meilleur-, son clan ; qu’il soit nation, famille, culture ou religion. Il a perdu sa relation au vivant. Il a voulu l'exploiter sans vouloir se rendre compte que par là-même il se coupait de sa nature profonde. Il faudrait qu'il réapprenne à vivre et à se relier au vivant pour apprendre à arrêter de tuer. Car son âme appartient au vivant. L'âme humaine rejoint l'âme du monde en un tissage si délicat qu'un rien le déchire. Reprendre soin du monde du vivant c'est avant tout s'occuper de soi. Non pas en une rixe égocentrique, mais en un nettoyage intérieur qui nous permettrait de le rejoindre.

Nous sommes nombreux à être comme assommés de ces dernières nouvelles du monde et du monde des hommes comme il va. De partout nous revient le pire, que ce soit en politique, en écologie, en social, en militaire… Comment réagir à ce tsunami désespérant à plus d’un titre ? Comment ne pas baisser les bras ? Ne pas se réfugier en de nihilistes postures ? En fuyant le monde ? Mais il nous rattrapera ! Et puis, nous sommes nombreux à avoir des enfants, et à défaut d’une mission, de nous en sentir au moins une responsabilité. Au moins pour eux. Et pour la Vie, la beauté du monde, ce miracle-là ; d’être en vie.

Alors oui, une par une, nous allons entreprendre de ré-enchanter les âmes, à commencer par les nôtres. De les réensemencer de leur force vive. De leur proposer de nouveaux sentiers buissonniers. Une nouvelle relation avec le vivant. Nous allons devenir sourciers de vie, des saumons qui allons remonter à la source ; là où la vie jaillit à elle-même ; là où l’âme se sent d’un coup revitalisée, vivifiée ; féconde et joyeuse. Nous allons désapprendre pour renaître à nous-mêmes. Nous n’imposerons rien. D’imposer, depuis des siècles, nous en sommes presque morts. Nous nous contenterons juste de montrer, d’éclairer, d’aider. Nous ne sauverons personne –ce serait une autre guerre- chacun se sauvera de lui-même. Non pas se sauver en s’enfuyant, non. Mais se sauver en se regardant enfin en soi-même et en contemplant ces merveilles que sont la Vie en nous et cette planète sur laquelle nous sommes venus.

Je me souviens d’une plage sur une île normande. Il y avait un monticule de près de deux mètres de haut qui s’était effondré, laissant apparaître en coupe ce qui était un labyrinthe de terriers de lapins. A faire leurs terriers au même endroit, ils s’étaient autodétruits, alors qu’aux alentours il y avait d’autres espaces immenses et vierges pour s’installer. Nous sommes, là, en ce moment, dans cette métaphore du terrier ; le nôtre risque bientôt de s’écrouler sur lui-même alors que tout autour d’immenses espaces intérieurs restent vierges et à découvrir…. Et c’est en trouvant en nous l’immensité aimante du monde que nous pourrons alors projeter autre chose sur lui. Car, à quoi servent les combats s’ils ne consistent qu’à rajouter de la colère et de la haine à la colère et à la haine ? C’est de ce « toujours plus de la même chose » que le terrier, image de notre maison commune, s’est écroulé. Et il ne suffit plus, ou pas, d'être simplement « contre » ; il faut être « à-côté ». Délibérément « à-côté ». Autre. Non pas ignorants du monde tel qu'il va, au contraire, parfaitement conscients, mais « à-côté ».

Dans cette nouvelle et peut-être dernière espérance il n’y aura pas de mots d’ordre. A chacun de trouver son chemin, sa lumière et de les partager avec amour, compassion et / ou fraternité (oui, en effet, trois mots désuets et presque oubliés !)

Pour ma part, je commence à y voir un peu clair. Tarot, conte, écriture et voie du Tambour sont un seul et même mouvement. Celui d’une possibilité de ré-enchanter l’âme et notre vision du monde. Cela se fera sans doute, en effet, un peu « à côté ». Sans doute pas dans l’institution telle que je la pratique maintenant depuis près de 30 ans. Ce sera sur des chemins buissonniers mais puissamment peuplés de belles âmes et d’esprits forts et aimants (et ce dont je suis sûr c'est que nous sommes des milliards !). J’apprends en ce moment à décliner tout cela. Certaines choses sont en cours : consultations de Tarot, enseignement du Tarot chamanique, pratiques sur la voie du Tambour, retour sur le chemin du conte avec un nouveau spectacle et de nouveaux contes à raconter ; d’autres projets sont en gestations, mais pour l’instant… secret ! Encore un mois je pense et vous saurez…

Nous sommes à la veille du solstice d’hiver et à partir d'après demain les jours vont rallonger. Bientôt une nouvelle année commencera. Je me suis dit que c’était un bon jour pour écrire ce texte. En espérant vous croiser nombreux sur nos chemins buissonniers… O vous amis saumons qui, comme moi, remontez vers la source...

dimanche 4 décembre 2016

un cadeau

Lune, XVème siècle

« Sur la Voie du Tambour, l'image qui lui apparaissait était de toute beauté. Une femme ressemblant à une Vierge iridescente, archétype d'une Mère divine universelle, vêtue d'une longue robe et baignant dans une lumière dont il voyait les rayons s'élancer vers l'univers. Nulle bondieuserie dans cette vision, mais au contraire une énergie d'amour absolument bouleversante. Elle se mit à lui parler :

- Trop souvent, vous pensez que ceux qui meurent disparaissent à jamais. Non, nous nous transformons. Et, si vous le souhaitez, nous pouvons alors devenir dans vos vies des guides qui vous accompagnent. Oh, nous n'avons plus grand chose à voir avec les personnes que vous avez connues ! Cette puissante transhumance que nous avons vécu nous a métamorphosés, libérés des conditionnements de nos incarnations ! Oui, vous pouvez croire ou ne pas croire. Prendre ou ne pas prendre. A chacun sa réponse ! Dans votre expression « faire le deuil », vous pensez souvent que cela revient à ne plus souffrir, à ne plus être triste. Oui, vous pensez être libéré du deuil le jour où vous ne souffrez plus ! Mais un deuil c'est bien plus que cela ! C'est la possibilité de faire un grand nettoyage intérieur en se libérant, entre autre, de tous les ressentiments, les colères, les insatisfactions accumulées au fil des ans avec la personne partie. La mort est une grande initiatrice, elle nous permet de réaliser un grand travail de libération intérieure qui nous permet un nouvel envol.

Les mots étaient forts, l'image magnifique. Le Voyageur ne se sentait ni écrasé, ni objet d'une séduction déplacée. Il sentait que cette vision était là pour -sans aucune concession mais avec un amour infini- lui rappeler son absolue obligation d’être fidèle à ce qu'il était profondément et à réaliser ce pour quoi il était fait. Rien de confortable somme toute, mais une figure d’une beauté et d’une intensité bouleversante qu’il avait déjà rencontrée plusieurs fois. Oui, décidément se dit-il, celles et ceux qui nous quittent restent présents dans nos vies comme des lumières qui nous guident et nous enseignent, quand bien même se métamorphosent-ils en autre chose que ce qu’ils étaient au cours de leur incarnation...

La vision reprit la parole :

- Pour le travail intérieur que tu fais en ce moment -c'est difficile de perdre sa mère- tu as besoin d'être aidé et de trouver de la force. Alors, dans les jours qui viennent (rassures-toi, ce n'est pas pressé!) tu te mettras en quête d'une représentation de la Vierge. Oh, rien de prétentieux ou de lourd ! Juste un petit médaillon ou une petite statue et tu la transporteras avec toi partout où tu iras. Ainsi tu pourras te connecter à moi et cela te fera du bien de sentir cet amour-là !

Le Voyageur promit, puis ils se quittèrent, et lui reprit sa vie de tous les jours.
Jusqu'à ce soir là ( trois, quatre jours plus tard peut-être) où, rentrant d'une promenade avec sa compagne, il s'apprêtait à mettre la clé dans la serrure de sa maison. C'était un soir d'hiver sans lune, au froid piquant. Sa rue étant peu éclairée, il peinait toujours un peu à trouver la serrure. Machinalement et à tâtons il la cherchait donc, lorsque son regard fut attiré par une chose minuscule, sans doute posée par une main inconnue sur le rebord de la fenêtre la plus proche. Oui, la rue était sombre, mais sans qu’il ne sache vraiment comment, il sut immédiatement ce qu’était cet objet. Et non seulement il sut, mais il vit –alors que l’obscurité ne le lui permettait pas- ce qu’il représentait, un peu comme une vision qui s’imposait.

Le cœur battant, le Voyageur prit l’objet, comme sidéré, tout juste capable de marmonner bêtement quelque chose du genre : "Ah, ce n’est pas ça quand même ? Si c’est ça, alors là je n’y crois pas…" pendant qu’il entrait dans la maison et allumait la lumière. Et là bien sûr, il la vit…

Une petite médaille représentant la Vierge, perdue sans doute par quelqu’un et délicatement posée sur le rebord de sa fenêtre… Oh, pas une médaille d’or ou d’argent, non ! Juste une modeste médaille en fer blanc de quelques euros, à l’image d’ailleurs de ce qu’aimait sa mère qui, peu fortunée et aux goûts simples, préférait les bijoux de pacotille à l’or des bijouteries…

Comme une sorte de clin d’œil, de cadeau, de don, qui lui était fait et qui dans un deus-ex-machina mystérieux venait en quelque sorte faire résonner toute cette traversée de ces dernières semaines d’une manière bouleversante. Comme une mise en scène orchestrée par une présence mystérieuse et aimante…

Le Voyageur prit la médaille et sut alors au plus profond de lui que quelque chose respirait et conspirait pour son plus grand bonheur et qu’il lui revenait alors de s'abandonner à la confiance… 

Bien sûr, ne put-il s'empêcher de penser, peut-être s'agit-il d'un hasard ? Mais le hasard n’est-il pas qu’une des milliers d’histoires que l’on se raconte ? Une Marraine de Contes à laquelle le Voyageur était très attaché, lui avait dit un jour qu’une partie de notre travail consistait à ce que nous acceptions le fait que le merveilleux n’était pas exceptionnel en soi mais qu’il était somme toute quotidien, presque banal, tissé avec les jours qui passent et qu’il suffisait de savoir le voir. Parfois, il est juste caché par un voile et, mystérieusement, il semblerait que la présence de la mort, parfois, puisse le soulever…

Dans les jours qui suivirent il mit bien sûr la petite médaille à son cou, et dans son corps, et dans âme, il sentit alors la Vie recirculer plus vive que jamais. Neuve. Vive. Impétueuse.