mardi 9 janvier 2018

Comme du blanc de Meudon sur les vitres

Fan Ho : "Approching shadow" - 1954

A quelques jours d’intervalle, deux amies m’ont témoigné avoir vécu en très peu de temps la mort d’un être être cher puis la naissance d’un enfant dans leurs entourages très proches. Une expérience vertigineuse et troublante de la vie et de la mort côte à côte, une mise en perspective qui sidère, une montagne russe émotionnelle de la larme au sourire. Vie et mort comme deux facettes de la même pièce de théâtre dans laquelle nous essayons de tenir notre rôle même si parfois notre voix se brise sous la douleur. Il faudrait pouvoir mettre la mort dans une main, la naissance dans l’autre ; peser le poids de chacune (égal ?) et puis réunir les deux mains et les porter contre son cœur. Toute vie repose là ; dans cette impossible compréhension, cette impossible acceptation que ce qui naît va mourir et que ce qui va mourir permet à autre chose de naître.

Une Marraine de cœur à laquelle je témoignais d’une période difficile m’a répondu cette phrase qui pour moi résonne : « Tout changement commence par un tunnel. Et c’est les qualités développées par la fréquentation du tunnel, qui sont ensuite utiles en pleine lumière. »

Il ne suffit donc pas de traverser le tunnel de nos chagrins et de nos peines en tassant le dos et en attendant que ça passe, ou en se disant que ce sera mieux plus tard, ou que c’est un mauvais moment à passer, ou bien encore en hurlant vers le ciel à l’injustice ou à la cruauté du sort (et c’est bien légitime quand par exemple on perd trop jeune un être cher) ; il faut aussi se poser la question de ce que l’on a à faire, à vivre et à comprendre dans ce tunnel. Parce que c’est ce que nous comprendrons dans cette obscurité de l’âme qui déterminera la nature de la sortie. Tout tunnel par nature est sombre et il y a même un moment où plus nous avançons plus il y fait sombre. Comme si tout ce que nous pouvions entreprendre pour aller mieux n’engendrait qu’encore plus de perplexité et d’incompréhension. Ce n’est somme toute qu’à la toute fin du parcours que nous voyons poindre à nouveau la lumière au loin comme une délivrance à venir.

Quand on aperçoit la lumière de la sortie au loin, il est facile d’accepter son sort. Mais quand nous ne la voyons pas encore ? J’écris : « pas encore » parce que je crois que cette lumière revient toujours. Croire à ce retour dans l’obscurité la plus terrassante, cela s’appelle la foi. Étymologiquement « foi » veut dire quelque chose comme « avoir confiance ». Mais en quoi peut-on avoir confiance quand on est soi-même perdu ou égaré dans la douleur du deuil par exemple ? Certains ont la foi en Dieu ou en leur bonne étoile, d’autres ne l’ont pas. Pour ma part, j’essaie au jour le jour de construire une réponse, et cette réponse pourrait être celle-ci : je ne suis pas certain de savoir en quoi j’ai foi ou pas, en quoi j’ai confiance ou pas. Mais je sais que me revient la responsabilité, dans ce tunnel sans sortie visible, de me dire que là, dans une épreuve parfois terrible, je peux construire quelque chose en moi de nouveau. Qu’au moins ce tunnel puisse me permettre de construire ce nouveau-là et sa cohorte de nouvelles compréhensions. Parce qu’en sortir en étant rigoureusement le même n’a absolument aucun intérêt revenant à ce que tout cela n’ait eu lieu que pour rien. La douleur, le chagrin, l’incompréhension, des échecs encore inexpliqués, nous forgent comme acier dans les braises. Gare toutefois à ne pas nous endurcir car alors nous nous privons de la légèreté des choses !

J’arrive à un âge où certains commencent à mourir. Où celles et ceux qui m’ont guidé et éclairé en mes jeunes années meurent comme herbes sous la faux et où pourtant toute naissance m’apparaît de plus en plus comme une lumière miraculeuse.

Dans les tunnels que nous traversons nous ne trouvons pas toutes nos réponses tant un insondable mystère opaque demeure. Nous sommes comme des chercheurs de feu au fond de cavernes obscures. Nous cherchons d’oniriques trésors qui ne sont que les facettes de miroirs de nous-mêmes. Nous apprenons à être notre lumière. Parfois il nous semble que les difficultés que nous rencontrons viennent obscurcir ce miroir. Que nous fassions ne serait-ce qu’un quart de tour et nous comprenons pourtant que loin de l’obscurcir elles le nettoient. Avez-vous déjà nettoyé des vitres au blanc de Meudon ? Vous savez ce produit blanc que l’on met sur les vitrines des boutiques qui ferment. La pose du produit empêche la lumière de passer. Que nous le rincions et alors la vitre apparaît comme neuve. Nos épreuves, nos chagrins, nos larmes sont comme cette poudre. Ils peuvent nous ensevelir. Que nous apprenions à enlever le voile qu’ils déposent sur notre âme et alors un nouveau apparaît, de nouvelles promesses émergent, de nouvelles naissances nous enchantent… C’est l’incommensurable mystère de ce que les alchimistes appelaient « L’Oeuvre au noir » : quand la plongée dans l’ombre nous fait percevoir notre propre lumière.

2 commentaires:

  1. Ce texte résonne profondément en moi.
    Merci à la Licorne de me l'avoir indiqué.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. Merci Célestine, je suis ravi ! Et saluez la Licorne de ma part si vous la voyez !

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